Les fenêtres qui s'ouvrent sur le large

Une carrière courte crée le mythe de l'étincelle créative d'une époque. Une carrière longue oblige aux remises en question. Tel le surfeur circulant sur les vagues successives d'énergie de l'océan, à tout instant, il nous faut réinventer l'harmonie avec les circonstances pour marier fond et forme.

Le fond est notre réaction à notre univers, sa permanence physique ou ses changements sociaux. La forme dépend des outils de communication de l'époque. Aujourd'hui, ils vieillissent de plus en plus vite. Le marché accélère les modifications de consommation et nous perdons vite nos repères: nos vies sont plus longues que nos certitudes.

A chaque nouvelle vague, il faut garder son étonnement, cette base de l'élan créatif, sinon "Un jour, nous quittons la scène de cette représentation, la comédie nous échappe car nous ne saisissons plus le fil de son intrigue. Notre rôle nous déçoit et le jeu paraît misérable" (Le Zen, Maurice Cocagnac). La contemplation de l'univers dans l'espace réduit d'un atelier ou d'un jardin permet la fuite de l'esprit sur le chemin de la méditation face à la feuille blanche et le silence: c'est la base du travail.

Pour l'inspiration, c'est plutôt des instants de conscience fulgurante, des flasches qui pénètrent nos filtres personnels d'éducation et de vécu: un bois bien planté depuis la fenêtre du train, un rayon de soleil sur un cimetière marin, une danse exceptionnelle… La ligne continue symbolise la fuite de l'âme de l'être fini vers l'univers infini, espace fractal et répétitif à diverses échelles. J'aime comparer le développement de l'humanité à la croissance du chou-fleur où chaque inflorescence charnue se développe sur les précédentes qui constituent l'arborescence génétique et culturelle. Dans ce processus se glissent adaptations, oublis de mémoire, "structures dissipatives", qui créent des originalités locales à la base de la multiplicité des formes et des espèces.

Seule la fuite intérieure de l'esprit permet de supporter le monde moderne: un peu de sérénité dans le stress qui nous assaille par trop d'informations. Avez-vous conscience que l'agitation des sociétés humaines est peut-être en diapason avec celle de la terre face au soleil: leçon d'humilité?

Philippe Decelle, 6 juillet 2011