Lorsque notre regard flotte au large des grandes étendues chromatiques des œuvres de Philippe Decelle, un sentiment à la fois calme et intriguant nous envahit. Tout paraît constitué d’une même matière inerte et opaque dont l’agencement crée pourtant un univers mouvant et diaphane ; les plans successifs finissent par se perdre là-bas loin, à l’horizon, ouvrant un espace qui transpercerait volontiers son support. Le sujet semble ne se soustraire en rien tant les formes sont limpides mais le cœur du trait est ellipse si bien que le paysage se dérobe dès que l’on s’en approche de trop près. On a toujours cette sensation d’être entre ombre et lumière, d’être dans une sorte d’équilibre instable, dans un silence chahuté par des phrasés lisses et des accords colorés.
L’harmonie tient, dans ses compositions, un caractère absolu. Un leitmotiv assemblé de signaux analogiques en carrés, en sinusoïdes, en dents de scie tel un de ces synthétiseurs des 70's dont les timbres complexes sont élaborés à partir d’ondes simples. Ces signaux s’additionnent, se soustraient, s’étirent, se courbent pour créer un motif qui sera à son tour répliqué, amplifié, superposé ou déformé. Les lignes s’entre-mêlent pour construire un "groove" aux accents électro-pop, des notes qui pourraient être empruntées de fugues de Wendy Carlos ou d’Autoroutes de Kraftwerk pourvu qu’au-delà du thème, la destination finale soit l’évasion.
Synthèse, voilà la trame sous-jacente aux thèmes de Decelle. Qu’elle soit par modulation dans ses courbes, soustractive ou additive dans ses couleurs, granulaire dans ses Dérapages de photocopies, wave-shaping dans ses distorsions de peupliers ou sampling dans ses études de panneaux routiers – dont chaque échantillon est finalement utilisé comme un pixel, suffisamment petit et simple pour se proposer comme unité indivisible de représentation, suffisamment grand pour composer un ensemble qui reste dans un domaine formellement pur –, tout semble orchestré par un enchaînement d’oscillateurs, de filtres, de générateurs d’enveloppe.
S’imaginer le travail que constitue l’étude, la planification et la réalisation d’un opus de Philippe Decelle est une étude en soi. Ce n’est pas tant que le travail est long, c’est surtout qu’il ne semble souffrir d’aucune improvisation, logique d'ingénieur donc. L’artiste est effectivement rompu aux exigences des gestes et des modes opératoires calibrés mais en amont de cela il y a tout autre chose, de l'ordre de l'impondérable. Juste avant était le flash, moment furtif durant lequel l’intensité du sujet rencontrait l’évidence du regard. Tout photographe le sait : tout est fonction de cadrage. Ne pas savoir regarder, c’est rater à coup sûr un rendez-vous avec l’émerveillement. Decelle est un photographe, un photographe au long cours, ses pérégrinations sont le biotope de son imaginaire, l’ailleurs son intimité. Chaque œuvre est une page d’un volumineux carnet de voyage, un tirage unique extrait d’un album de rencontres entre les terres improbables du réel et le ciel de ses utopies.
Pour rester contemporain, l'artiste doit continuellement remettre en cause la forme de ses œuvres sans trahir sa personnalité profonde : il surfe avec les nouveaux pinceaux sur les ondes lisses, modulées, transparentes de voyages mentaux totalement construits après chaque passage de l'ange (l'inspiration).
Pendant mes études secondaires, les leçons de poésie illustrées par ldes peintures modernes dans un misérable rétroprojecteur insuffisamment puissant et une capacité pour le dessin m'ont convaincu avec la naïveté de mes seize ans de rendre l'essence des choses plutôt que de décrire leur apparence dans une Europe en reconstruction au décor austère, sans couleur ni humour et basée sur le travail.
L'abstraction géométrique fut un début logique pour l'étudiant fasciné par les épures, sorte de filtre mental déposé sur le regard. Mes œeuvres se construisent à partir d'une émotion visuelle ou d'une idée couchée sur le terrain des codes personnels.
Première vague : géométrie du vécu
Une gamme camaïeu donne la transparence des formes superposées qui suggèrent la troisième dimension. Les bords de ces formes relevés par des lignes plus claires ou plus sombres accentuent la lumière. Cet impressionnisme mental ratisse un fond de culture traditionnelle et d'émotions catalysé par de nombreux voyages. Il donne une vision très personnelle par les lois qui agencent les couleurs. Les axiomes utilisés de symétrie, de miroir, de perspective, de répétition rythmée et de fractales induisent, au delà de l'ingénieur, une philosophie zen de l'existence, une réduction à l'essence, qu'on pourrait retrouver dans les haïkus japonais (poèmes complets scandés en trois lignes).
L'observation des peupliers de Flandre, aux troncs bien verticaux, plantés dans les zones humides selon un quadrillage, est le moyen le plus proche de traquer la géométrie dans la nature. Un pas de plus et je l'applique aux collines et aux nuages si pas à tout le paysage ressenti.
Deuxième vague : dérapage contrôlé
Avec le temps, la conception architecturale et l'habitude d'une technique fort précise avant réalisation m'ont fait perdre mon étonnement de premier spectateur. Les surprises revirent par l'utilisation des défauts des machines copieuses au laser pour obtenir à nouveau rythmes, déclinaisons et fractales à artir de sujets du vécu. Les résultats se situent à mi-chemin de l'abstraction avec une descente jusqu'aux pixels de couleurs pures. Cette merveilleuse aventure disparaîtra avec l'amélioration fulgurante de ces machines devenues trop fidèles.
Troisième vague : le code de ma route
Le réseau d'inspiration se maintient avec des pixels plus sophistiqués : les panneaux routiers, langage universel qui en un siècle est passé de quatre à quatre cents signes pour canaliser, parfois jusqu'à l'écœurement, notre liberté de nomade profond par un cortège de contraintes, d'interdictions et d'obligations. Détourner ce langage dans un but poétique, ludique et urbain devient aujourd'hui ma forme POP-OP postmoderne. Je rêve d'animation temporaire à échelle urbaine.
Transparence & lyrisme (1966-1972) | |
Géométrie asservie au papier quadrillé (1972-1974) | |
Arbres & Nuages (1974-1977) | |
Réseaux de peupliers (1977-1979) | |
Les soleils de l'évasion (1980-1984) | |
Géométrie sacrée (1984-1985) | |
Sculpture de la ligne (1978-1998) | |
Dérapage contrôlé (1995-2004) | |
Des fenêtres qui s'ouvrent sur le large (2005-2013) | |
Vertus ethniques (2011-2014) | |
Panneaux routiers (2015-2017) | |
Paysages codifiés (2021-2023) |
Philippe Decelle est né à Ixelles (Bruxelles) le 26 novembre 1948
2021 | SR Gallery – Bruxelles Galerie Zedes – Bruxelles |
2016 | Centre culturel Wolubilis – Bruxelles Galerie Zedes – Bruxelles |
2012 | Centre culturel d’Uccle – Bruxelles |
2011 | Galerie Zedes – Bruxelles Banque Transatlantique Belgium – Bruxelles |
2008 | Galerie Zedes – Bruxelles |
2004 | Centre culturel d’Uccle – Bruxelles |
2001 | Institut Supérieur pour l’Etude du Langage Plastique – ISELP – Bruxelles |
1998 | Philip Morris Institute – Bruxelles |
1997 | Galerie Tecno – Bruxelles |
1994-1996 | Galerie Christine Colmant – Bruxelles |
1993 | Inauguration de l’atelier en collaboration avec la galerie Christine Colmant |
1990 | Galerie Clara Scremini – Paris Galerie Marcel Becker – Knokke-le-Zoute « Plexilight » – Galerie de Carnière – Bruxelles |
1989 | Galerie Zedes – Anvers Trade Markt – Bruxelles |
1986 | Centre Culturel de la Communauté Française Wallonie-Bruxelles, le Botanique Galerie Esschius – Diest |
1984 | Galerie Synergon – Bruxelles |
1982 | « 16 ans de peinture » – Galerie H & V – Anderlecht – Bruxelles |
1980 | Galerie Kriwin – Bruxelles |
1978 | Hôpital Erasme – Anderlecht – Bruxelles Galerie Esschius – Diest |
1975-1977 | Galerie Arcanes – Bruxelles |
1974 | Banque Lambert – Bruxelles |
1972 | Galerie du Marwin Center de la G.W.U. – Washington D.C. (USA) |
1971-1973 | Galerie Regard 17 – Bruxelles |
1968-1970 | Université de Bruxelles |
2022 | « Imagine Cultures » – Université Libre de Bruxelles « A Taste of Abstraction » – La Patinoire Royale | Galerie Valérie Bach – Bruxelles |
2018-2019 | « Art et Math » – Rabat, Casablanca |
2016 | « Art et Math » – Maison des arts d'Uccle – Bruxelles « Cent artistes en liberté » – Musée juif de Bruxelles |
2015 | « Paysages de Belgique » – Musée d'Ixelles – Bruxelles « Le fruit défendu » – Galerie du Beffroi – Namur |
2014 | « Art et Math » – Université de Bruxelles « La Route bleue » – Fondation Boghossian à la Villa Empain – Bruxelles |
2009 | « A louer » – Centre Wolubilis – Woluwé-Saint-Lambert – Bruxelles « Metro Art Memory » – Bruxelles « Trésors ucclois » – Bruxelles |
2007 | « L’Amour de l’art contemporain dans les collections privées du Sud-Ouest » Musée des Beaux-Arts d’Agen – France « La Collection de l’Université de Bruxelles au belgo-masculin » – Bruxelles |
2006 | « Pierre, Papier, Ciseaux » – GPOA – Bruxelles « Lights on » – Galerie Zaïra Mis – Bruxelles « L’Evénement Art 2006 » – Ambassade du Luxembourg – Bruxelles |
2003 | « A table ! » – GPOA – Bruxelles |
1996-1999 | « La Lumière dans l’art » – Solingzen-Gräfrath (DE), Sesbierum (NL), Minsk (Biélorussie), musée Narodowe – Varsovie (Pologne) |
1997 | « Les Matricielles » – Centre de la gravure et de l’image imprimée – La Louvière Foire de Bologne |
1993 | Brussel’s Art Fair – Bruxelles (I) Sculpture urbaine au Parc Roi Baudouin |
1990 | Invité pour « Parcours d’Artistes II » – Bruxelles Galerie Schultz – Cologne |
1988 | « Visages » – Musée Saint-Georges – Liège |
1984 | Musée David et Alice van Buuren – Bruxelles « Néon, Fluor et Cie » – ISELP – Parc d’Egmont – Bruxelles « Art et Matière plastiques » – GPOA – Bruxelles |
1983 | Musée David et Alice van Buuren – Bruxelles |
1982 | « La Sculpture en métal » du CACEF (Centre d’Action Culturelle de laCommunauté d’Expression Française) – Namur |
1981 | « L’Autre Jeune Peinture » – Gare Centrale – Bruxelles |
1980 | Galerie Reflex – Bruxelles |
1979 | « Malou 79 – exposition de plein air de sculpture européenne » – GPOA/parc Malou – Bruxelles Œuvres acquises par le Ministère de la Culture – Palais des Beaux-Arts – Bruxelles |
1977 | Centre Moscicki – Bruxelles |
1976 | « Marge du temps » – Galerie Arcanes – Bruxelles |
1975 | Banque Lambert – Bruxelles |
1974 | Aspect I – 22 peintres belges contemporains » – Crédit Communal de Belgique – Bruxelles, Charleroi, Turnhout, Gand |
1973 | Galerie Michelson – Washington D.C. (U.S.A.) 4 œuvres sélectionnées par le Jury du Prix de la Jeune Peinture Belge |
1972 | Représente la Belgique au Festival d’Art International de Minneapolis – St Paul (U.S.A.) |
1971 | Distingué par le jury du Prix de la Jeune Peinture Belge |
Philippe Decelle a collectionné durant une trentaine d'années des objets de design plastiques. L'acquisition de sa collection par l'Atomium a donné naissance à l'exposition permanente "the Plastic Design Collection" du Design Museum Brussels.